Psychothérapeute


FRANCK CHAUVEREAU

Nos peurs…

    Plus j’avance en âge, ainsi que dans ma pratique de psychothérapeute, plus m’apparaît forte la présence de la peur dans nos existences. En moi-même, en mes amis et patients, dans les témoignages de ce qu’ils vivent, apparaissent sous les couvercles de ce que nous vivons, les visages multiples de la peur. Cette émotion est dite fondamentale, comme la colère, la surprise, la tristesse, la joie, le dégoût. Il y a bien sûr d’autres émotions et d’autres sentiments, tous ne sont pas désagréables à vivre, heureusement ! : L’enthousiasme, le rire, l’humour, la victoire, la jouissance, l’amour…    
Ouvrons une parenthèse pour noter que nous avons souvent tendance à parler de nos émotions pénibles comme des ressentis négatifs. Hors, toutes nos émotions ont un rôle à jouer, celui de baromètre de l’état dans lequel je suis dans le moment présent, celui de communiquer avec l’autre à travers des signes pysiques, par exemple. Le négatif est dans l’intensité de l’émotion ressentie, associée à sa durée. Il est vrai qu’une forte et longue tristesse atteint la qualité du moment vécu, voire de mon existence. 

    Que dire alors de ces peurs permanentes que certains d’entre nous portent en eux tout au long de leur vie d’adulte ?
Peur de l’inconnu (situation, ou personne) / Peur d’échouer, et son opposé : la peur de réussir / Peur de s’engager, ou de ne pas savoir s’engager / Peur de vivre, ou de mourir / Peur de la maladie, de la vieillesse / Peur de souffrir, ou d’être heureux (quand on porte la croyance que le bonheur se paie un jour ou l’autre !) / Peur d’être jugé / Peur de la solitude / Peur de la violence / Peur du danger / Peur de l’autorité / Peur de l’intimité…
Derrière chacune se tapissent nos croyances fortement ancrées, c’est-à-dire nos pensées et nos opinions récurrentes, forgées au fil du temps, sur nous-mêmes, sur les autres et sur la vie ou le monde, en général. 

Interrogeons-nous un instant :
Comment serait notre vie sans tous ces freins douloureux ?
Pouvons-nous imaginer un instant – comme ça, juste pour jouer – que la camarde crainte qui a trouvé sa place au creux de notre estomac, dans nos muscles crispés, dans nos pensées puisse à jamais nous lâcher et nous libérer, enfin ? 

Au fait, quel est le contraire de la peur… ?
Il y a un joli mot de la langue française, qui, lorsque personnellement je le prononce, me fait respirer d’aise… c’est le mot CONFIANCE ! 

Oublions les peurs - ainsi que leurs frères le doute et la culpabilité – que reste-t-il alors ?
LA CONFIANCE ! 

Confiance en la vie, en l’univers bienveillant… Et c’est alors que tout naturellement, la CONFIANCE enfante l’ACCEPTATION, l’acceptation du moment présent, quel qu’il soit :
Le passé n’est plus à réécrire, vainement !
Le futur reste ce qu’il est, de toute façon : seulement une hypothèse ! 

    Dans l’histoire de ce joli mot il est question de croire avec assurance, de se fier à quelqu’un ou quelque chose, et il possède beaucoup d’analogies avec l’ESPERANCE (vous savez, ce qu’il resta dans la fameuse boîte que Pandore ouvrit en désobéissant, laissant tous les mots de la terre se répandre sur les hommes !) 

Se fier à quelqu’un ou quelque chose… ? A Dieu, à la vie, à l’univers… appelons cela comme il nous convient, un quelque chose qui nous porte pour : « …qu’à la pierre notre pied ne se heurte » !! 

    La CONFIANCE s’installe en nous lorsque vient la certitude que nous ne sommes pas seuls (peut-être notre plus grande peur !) et que l’univers est bienveillant…    N’ayons plus peur, il n’y a aucun risque, rien à perdre et tout à gagner, en faisant CONFIANCE à la vie!!   
  

Après l’extase, la lessive !

Voici quelques extraits du livre « Après l’extase, la lessive – Comment la sagesse du cœur se développe par la voie spirituelle » Jack Kornfield Éd. La Table Ronde. 

Jack Kornfield nous montre avec élégance et humour la réalité de ces gens qui ont réalisés d’énormes prises de conscience et le défi que présente de vivre le quotidien en dépit de celles-ci. Vous qui êtes sur la voie, sachez que rester dans le moment présent quoi qu’il arrive en accueillant ce qui est, est un défi imposant pour quiconque s’est engagé sur la voie spirituelle. Vous n’êtes pas les seuls à perdre la communion avec le divin. Voici quelques extraits de ce livre passionnant, réaliste et peut-être libérateur. 

 » L’éveil existe, on peut s’éveiller. Liberté et joie sans limite, union avec le Divin, ouverture à un état de grâce intemporel, toutes ces expériences sont plus communes qu’on ne le pense et ne sont pas si éloignées de nous. Il existe cependant un corollaire : ces expériences ne durent pas. Nos réalisations et nos prises de conscience nous dévoilent la réalité du monde, elles apportent des changements mais elles passent. »  » Vous avez sûrement lu des récits traditionnels racontant la vie de grands sages asiatiques parfaitement éveillés ou l’histoire de saints et mystiques occidentaux d’une pureté irréprochable. Ces écrits sont magnifiques; ils peuvent pourtant nous induire en erreur. En réalité, dans le processus d’éveil du cœur, il n’y a rien qui, de près ou de loin, puisse être assimilé à une fin éveillée. Les choses ne se passent pas ainsi. Nous savons tous qu’après la lune de miel, il y a le mariage et qu’après les élections, la dure tâche de gouverner. Dans la vie spirituelle, il en va de même : après l’extase, il y a la lessive. » Kornfield d’ajouter : 

 » Quelle que soit notre vision initiale de la vie spirituelle, pour être authentique, elle doit être réalisée ici et maintenant, à l’endroit où nous vivons. À quoi ressemble le cheminement d’un occidental au sein d’une société complexe? Comment ceux qui ont consacré 25, 30 ou 40 ans de leur vie à une pratique spirituelle ont-ils appris à vivre? Voilà les questions que j’ai commencé à poser aux Occidentaux qui sont devenus, des maîtres zen, des lamas, des rabbins, des pères, des nonnes, des yogis, des enseignants et à leurs plus anciens étudiants. »  » Pour comprendre la vie spirituelle, j’ai commencé par le commencement. J’ai demandé ce qui nous amène à la vie spirituelle et quelles difficultés nous avons à traverser sur le chemin. Les chemins de l’Éveil. J’ai demandé quels présents, quels éveils nous étaient offerts et ce que nous pouvions savoir de l’illumination. Puis j’ai demandé ce qui arrivait après l’extase, lorsqu’on mûrit au cours des cycles de la vie spirituelle. Y a-t-il une sagesse qui intègre à la fois l’Extase et la lessive ? »  » La fille d’un pasteur demanda à son père d’où lui venait ses idées pour les sermons.  » De Dieu « , répondit-il.  » Alors pourquoi toutes ces ratures? « , lui demanda-t-elle.  »  » Les mystiques de chaque tradition, poursuit Kornfield, enseignent que, quelle que soit la puissance de l’éveil obtenu, notre capacité à vivre dans cette réalité sera presque certainement transitoire. Au premier abord on pourrait en douter : les satori éveillent en nous une compréhension et une liberté tellement impressionnantes qu’il est difficile de croire que cette réalisation n’est qu’une première étape. Pourtant des descriptions ou cartes du processus évolutif d’éveil existent dans pratiquement toutes les voies spirituelles. […] Chaque tradition offre sa propre image du déroulement de la vie quand le cœur s’est éveillé, mais toutes s’accordent sur le fait que la première ouverture n’est qu’un début.  » 

Ce n’est pas parce qu’on a connu l’éveil que tout est résolu, que tout est fini. La terre et la vie demeurent le grand champ que nous devons labourer pour y faire pousser fleurs et fruits. Il faut du temps pour apprendre à accepter ce que l’on est, et pour permettre à cette acceptation de faire mûrir ce que nous sommes.
«Un enseignant bouddhiste raconte qu’il s’attendait avec l’éveil à une “transformation personnelle”. Il eut la surprise de voir qu’en fait une “transformation IMpersonnelle” s’accomplissait. Il s’agit d’une ouverture du cœur et non d’un changement de personnalité.
Cet enseignant poursuit: Sous de nombreux aspects, la transformation spirituelle de ces dernières décennies fut différente de ce que j’avais imaginé. Je suis toujours la même personne bizarre avec à peu près le même style et les mêmes modes d’être. Extérieurement, je ne suis donc pas cette personne éveillée, transformée de façon incroyable, que j’avais espéré devenir au début. Mais intérieurement, une grande transformation s’est opérée. Ces années de travail sur mes sentiments et mes rapports familiaux ont adouci mon humeur et ma manière de les aborder. A travers mes luttes menées pour connaître et accepter ma vie en profondeur, celle-ci s’est transformée, mon amour s’est développé et élargi. Ma vie ressemblait à un garage encombré dans lequel je passais mon temps à me cogner contre les étagères et à me juger moi-même; aujourd’hui, c’est comme si j’avais déménagé dans un hangar à avion avec les portes ouvertes. Toutes mes vieilles affaires sont là mais elles ne m’encombrent pas comme avant. Je suis toujours le même mais maintenant je suis libre de bouger et même de voler.» 
Kornfiel ajoute : «Lorsqu’on demanda à Ram Dass si, après toutes ces années de discipline spirituelle, sa personnalité avait changé, il se mit à rire et répondit que non. Il affirma, à la place, être devenu “connaisseur de mes névroses”.
Dès le moment où nous savons que nous sommes, dans notre essence, le Tout, acceptons notre forme manifestée (au moins jusqu’à la mort), acceptons d’être tulipe, ou rose, ou simple lavande, et embellissons la terre avec la seule chose que nous sachions bien faire: être nous-mêmes — quoique toute une vie n’est peut-être pas de trop pour le faire vraiment bien. 

La voix de l’Ego

L’ego est une projection de nous, ce n’est pas nous. Deux éléments distincts peuvent être confondus : l’être et l’ego. Savez-vous que la petite voix que vous entendez en vous peut venir de deux sources différentes ? Êtes-vous capable de savoir d’où provient votre petite voix intérieure ? Est-ce de vous, le centre, la sagesse infinie ? Ou est-ce une « imitation » de vous que l’on appelle l’ego ? Voyons ensemble comment mieux les distinguer.  La petite voix, qu’importe sa provenance, est peut être un guide que vous consultez au moment de prendre une décision importante. Pour connaître la source de ce conseil, observez l’émotion qui vous habite au moment ou vous entendez la voix. Est-ce la peur, la colère, la frustration ? Si vous entendez un conseil alors que vous ressentez ces émotions, sachez qu’il s’agit de votre ego souffrant qui s’exprime à travers la petite voix. Lorsque vous êtes centré, dans le moment présent et le cœur ouvert, vous ressentez la paix, la joie ou simplement rien. Mais ce rien est plein, c’est la plénitude de l’instant. Les conseils que vous entendez lorsque vous ressentez viennent de vous, l’être, c’est votre sagesse intérieure qui s’exprime. Ressentez comme la saveur est différente. L’ego s’exprime également par de faux « lâcher prise », lesquels sont plutôt une forme de résignation provenant d’un sentiment d’impuissance. Il ne s’agit pas d’un véritable accueil de la situation présente, mais d’une forme d’abandon faute de moyens permettant de contrôler. Un autre indice permettant de déceler l’œuvre de votre ego est l’absence d’originalité. L’ego calque sur de vieux schémas passés plutôt que d’être créatif. La créativité vient de la Source, de vous. Après avoir posé un geste indiqué par l’ego, on se sent généralement plus piégé, plus prisonnier en dépit d’une satisfaction à court terme. À long terme ces décisions sont chèrement payées. Regardez les conséquences de poursuivre une activité ou une relation qui ne vous convient plus. Votre petite voix aimante vous dit d’arrêter mais l’autre voix, celle de l’ego vous dit de poursuivre. L’ego a peur de souffrir et refuse d’envisager le deuil à faire. «Ça ne va pas si mal que ça», dit-il tremblotant… Vous devenez alors décentré, irrité et frustré. 

Après avoir posé un geste qui vient vraiment de soi, on se sent plus libre, plus près de soi et dans la justesse. On vit davantage dans la plénitude de l’instant. Votre nature véritable est paix et amour. Les chemins indiqués par l’ego ne sont pas mauvais. Simplement ils viennent d’un espace souffrant et conduisent à la souffrance. Les chemins indiqués par l’être viennent de l’amour et conduisent à l’amour. L’ego est bien souvent représenté comme quelque chose de négatif, qui ne serait pas nous-mêmes, comme une illusion, une projection qui nous détournerait de notre vraie nature. Cette manière d’aborder l’ego est un trompe-l’œil et doit être abordée avec humilité. l’ego a une place importante pour l’être, mais il s’agit de l’être dans son ensemble, y compris dans la matière et pas uniquement dans son aspect spirituel et subtil. Chercher à le combattre, l’ignorer ou à s’en détacher ne font que le rendre plus frustré, actif, bouillonnant, et à rendre l’être moins naturel. L’ego est au cœur de notre « incarnation » dans la matière, une charnière entre la matière et le subtil. Il est donc particulièrement tiraillé par nos besoins primaires et la recherche d’ascension à la fois. 

Pour prendre une image, le discréditer reviendrait à renier le chakra de base ou le second chakra par ce qu’ils sont rattachés notamment à l’argent, la sexualité ou aux émotions. Cela reviendrait à dire que seuls les chakras supérieurs, ceux reliés au subtil, à la spiritualité, à nos composantes les plus raffinées, doivent retenir notre attention, tandis que les chakras inférieurs devraient être dénigrés. Ce n’est pas ainsi, en rejetant l’ego, que l’évolution de l’être peut parcourir son chemin. L’ego est à ressentir, comprendre et reconnaître comme partie de nous, aussi dans sa valeur et son utilité. Il ne prend plus le pas sur notre comportement au fur et à mesure que l’on évolue dans notre cœur et notre spiritualité qui le contrebalancent, assurément, mais aussi qu’on l’aborde avec compassion, humour et un soupçon d’autodérision pour notre être tout entier, y compris pour notre dimension spirituelle. L’ego n’est pas à combattre. Il est à reconnaître comme un ami un brin excessif mais truculent et savoureux, bon accompagnateur et précieux, au côté de cet autre grand ami qu’est le guide intérieur, la spiritualité. Quand leur équilibre est avéré, la spiritualité apporte la dose de sagesse et l’ego la dose d’action à notre vie quotidienne, un mariage merveilleux qui évite l’excès d’égocentrisme et de spiritualité guimauve. la principale difficulté que nous pose l’ego est qu’il se prend pour moi. Il y a là une erreur sur l’identité. Moi je suis un être et un être c’est indéfinissable, sans formes et sans limites. C’est cela ma nature véritable. Tant et aussi longtemps que je n’ai pas reconnu ma vraie nature, je me prends pour quelqu’un que je peux définir comme étant ceci ou cela. Si c’est définissable ce n’est pas l’être. Presque tout dans cet univers tend à nous faire croire que nous sommes quelqu’un alors que nous ne sommes Rien, un Rien plein de potentialité. Un Rien lumineux et aimant. Ce n’est pas accessible au mental, il faut absolument en faire l’expérience. 

Qui prend en charge la dépression, à part le dépressif lui-même… ?!

    Lettre mensuelle de l’assurance maladie ( N° 36) : «…Les recommandations rappellent l’importance d’évaluer le risque suicidaire dès la première consultation et tout au long du suivi. Elles distinguent les éléments thérapeutiques indispensables comme le soutien psychologique, et ceux à envisager  au cas par cas, non systématiquement, comme la prescription  de médicaments anti-dépresseurs, qui ne doit pas être inférieure à six mois. L’épisode dépressif caractérisé est un enjeu de santé publique : sa prévalence est estimée à 7, 8% de la population par an en France, soit quatre millions de personnes. »
   
    Quatre millions
de personnes : nous, nos amis, nos parents, pataugent dans leur dépression. Plus personne n’ignore que c’est une maladie et dans notre beau pays de consommateurs chacun a appris que maladie=médicaments, dans le cas des dépressions il s’agit d’antidépresseurs, évidemment. L’équation est simple et les laboratoires pharmaceutiques se frottent les mains ! Les pouvoirs publics encouragent donc « au traitement pour 6 mois au moins, prescrit au cas par cas, avec « soutien » psychologique. »  Comme si le seul « soutien » pouvait suffire alors qu’il s’agirait de garantir  un traitement.
    Chômage interminable, deuil subit, harcèlement cruel, divorce musclé, maladie longue et douloureuse, stress professionnel…. nécessitent un accompagnement sérieux, un engagement que ni les psychiatres, trop peu nombreux et suffisamment occupés à traiter les psychotiques et personnalités dangereuses, ni les généralistes qui, montre en main (faut aussi faire du chiffre !), ne peuvent accorder qu’écoute bienveillante et empathique, certes nécessaire mais insuffisante en cas de dépression avec quelques fois idées suicidaires !
   
    Dans une pathologie de détresse dépressive il faut agir avec des médicaments, parfois.

Avec une psychothérapie*, souvent. 
Avec du temps et du respect, toujours

* les Thérapies Comportementales et Cognitives assurant les meilleurs résultats (résultats Inserm)

Bleu comme une piscine

bleupiscine.jpg    Catherine et Charles espèrent depuis des années posséder enfin la maison et le jardin de leurs rêves. Brigitte, l’amie de toujours, les accompagne dans leur projet depuis un an. Aussi, les deux femmes prospectent les agences immobilières et lisent en détail toutes les annonces de vente publiées dans la région.
  
Pour Brigitte c’est l’occasion de se laisser entraîner dans un tourbillon d’activités qui lui fait oublier une existence qui ne lui convient plus. Le couple qu’elle forme avec Bernard s’est coagulé dans la routine et le silence. Leurs deux enfants devenus adolescents ont transformé la maison familiale en lieu de transit pour les repas, pour quelques nuits ou pour récupérer l’argent de poche. Rien d’extraordinaire à cela, beaucoup de couples vivent la même situation, se dit-elle. Mais cette réalité universelle ne la console pas des frustrations de son quotidien, d’autant plus que le duo formé par Catherine et Charles est devenu la preuve tangible qu’un couple peut être dynamique lorsqu’il y a des projets en commun et que le fait d’avancer dans la même direction ouvre sur plus de communication, de débats, d’arguments, d’expression des désirs… bref, qu’une famille peut être un foyer de vie !
  
Même son travail ne la passionne plus.
 
Que sont devenus ses rêves de jeunesse, lorsque jeune infirmière elle voulait changer le monde, voyager et offrir ses services dans des pays lointains et démunis ? À la manière des myopes qui ne voient plus l’horizon et qui vivent dans la bulle étroite des seules choses visibles par eux, Brigitte observe avec avidité le petit monde familial de son amie, lui enviant son bonheur, serrant quelques fois les poings sur son amertume, celle qui fait reprocher à la fatalité, au destin ou à toute force extérieure les affres de son infortune. Nulle hostilité dans son sentiment, non plus que d’admiration – ce qui pourrait être une émulation – non, Brigitte se bat la coulpe en se reprochant son incapacité à mener une existence comparable à celle de Catherine. Quant à Bernard, il a exprimé une fois pour toute son désintérêt pour les projets immobiliers des amis de son épouse. Il a même ajouté qu’il faut être totalement idiot pour vouloir retaper une vieille baraque, qu’ils avaient des goûts de parvenus, etc.
  
Cependant, Catherine et Charles ont fini par trouver la maison de leur rêve. À force d’énergie et de patiente il ne pouvait en être autrement. A quelques minutes de la ville, dans une clairière tranquille, ils ont déniché une vieille et noble bâtisse du dix-neuvième siècle, entourée d’un parc luxuriant. Le bâtisseur fut un grand voyageur et un passionné de botanique.
   «
C’est plus qu’une maison, c’est une île de rêve ! a déclaré Catherine à son amie. Je suis impatiente de te la faire visiter. »
  
Brigitte est tout aussi impatiente mais en ce début de juillet, comme chaque année, Bernard tient absolument a rejoindre ses frères et ses parents en Bretagne : 
  « Une fois par an, tu peux bien faire un effort ! A noël nous voyons ta famille, il faut bien se partager… »
  
« Ce n’est que partie remise, lui a dit Catherine. Lorsque tu reviendras nous aurons eu le temps de faire quelques travaux, tu me diras ce que tu en penses.»
  
Brigitte n’a rien confié de sa déprime à son amie, elle vit ses moments de joie et d’enthousiasme par procuration, dans le plus grand secret.
  
Sans rien avouer à Bernard elle a emporté dans son bagage la boîte d’antidépresseurs que son médecin lui a prescrit. Elle a le sentiment que cette année elle ne pourra supporter ce qu’elle endure, année après année, dans la maison de sa belle-famille. Ce sera au-dessus de ses forces.
  
Assommée par ses petites pilules, Brigitte passe un été breton à aller de la chaise longue au lit ou du sable de la plage, où elle reste allongée les jours ensoleillés, au canapé du salon les jours plus gris. Il ne fait aucun doute que ses médicaments font effet puisqu’elle a le sentiment de flotter sur le courant de la journée, d’accueillir le quotidien sans état d’âme. Elle commence même à envisager le restant de ses jours sous la gouverne magique de la pharmacopée. Au diable les interrogations sur son avenir avec Bernard, les enfants qui ne communiquent plus, le travail sans saveur ! Elle n’aurait plus qu’à pousser sa barque, sans effort, et à laisser un courant sans risque la mener jusqu’au bout du voyage. Comment ne pas être tenté par autant de facilité ?!
  
De retour après un mois d’absence, Brigitte et Bernard réintègrent leur appartement. Catherine accueille chaleureusement son amie qui s’en trouve revigorée pour un temps.
  
Le jour J de la visite tant attendu est arrivé.
Sitôt passé le portail de la propriété, Brigitte a l’impression d’aborder une terre lointaine. Le domaine qui était à l’abandon depuis des années s’est développé en toute liberté, sans la contrainte d’un jardinier ou d’un propriétaire capricieux. Palmiers, eucalyptus, magnolias s’élancent vers le ciel comme pour laisser plus de place aux multiples buissons qui croissent à leurs pieds. Les nouveaux propriétaires n’ont pas eu le temps de tout défricher et les herbes hautes unissent les fleurs des champs aux fleurs plus rares. Au détour d’un chemin un palétuvier déploie sa roue de paon végétal à côté d’un Jacaranda bleu azur. Brigitte retient son souffle et ses cris d’admiration à chaque tournant.
   «
Je t’ai réservé une surprise, lui dit Catherine. » Elle noue alors un foulard autour des yeux de Brigitte afin que celle-ci découvre l’inattendu au dernier moment. Privée du sens de la vue, tous les sons du parc parviennent à ses oreilles avec force. Elle pourrait distinguer chaque chant d’oiseau, chaque grésillement et chaque vol d’insecte, si seulement ils n’étaient pas si nombreux. Des senteurs de chèvrefeuille et de roses remontent de la terre jusqu’à ses narines. C’est une immersion sensorielle qu’elle voudrait prolonger le plus longtemps possible.
   «
Voilà, nous sommes arrivées, tu peux retirer ton bandeau», lui dit Catherine impatiente. Brigitte ne se fait pas attendre. Le contraste entre l’obscurité de ses paupières et l’extrême luminosité qui fait fasse est violent, presque douloureux. Brigitte comprend enfin lorsque ses yeux finissent par apprivoiser la lumière : à 20 mètres devant elle un long bassin rectangulaire ouvre dans la verdure une saignée turquoise.
   «
Qu’en penses-tu ? C’est une bonne idée, non ?» Catherine interprète le silence de son amie comme la preuve muette de son approbation. « Il y avait un bassin, plein de poissons rouges et de nénuphars, mais avec Charles on a eu l’idée de cette piscine. C’est une bonne idée, tu ne penses pas ? On se croirait sur la lagune ! »
  
Ensemble elles font le tour du bassin qui exhale la forte odeur d’hypochlorite de sodium des piscines publiques. Brigitte s’assoit dans l’herbe tandis que son amie s’éloigne jusqu’à la maison afin de préparer un plateau de boissons fraîches. Ce moment de solitude va lui permettre de comprendre pourquoi cette piscine lui est tellement insupportable. Aucun vent n’agite la surface de l’eau, c’est une étendue liquide lessivée par le désinfectant, débarrassée de toute vie. Sur un sachet vide resté là elle peut lire : 
Produit pour :
Aseptiser = Détruire toutes les matières organiques.
Désinfecter =
Détruire toutes bactéries pouvant provoquer des maladies.
Oxyder =
Détruire l’ammoniaque, l’azote provenant de la pollution des nageurs.
  
Brigitte s’approche pour évaluer la profondeur. À ses pieds le ciel se reflète derrière la frondaison de quelques arbres. Alors qu’elle voudrait s’amuser à compter des carpes multicolores ou des grenouilles vertes, ou bien encore les milliers d’insectes et  plantes diverses qui prolifèrent partout où l’eau existe, seul un miroir immobile reflète sa silhouette penchée. Un vertige la saisi un court instant. Que cette eau morte et elle-même ne fassent plus qu’une seule image l’effraie profondément. Elle décide de s’éloigner rapidement afin de rejoindre son amie. 
  
L’intérieur de la maison est magnifique et Catherine a des milliers d’idées pour l’aménager mais Brigitte ne tient plus en place. Elle quitte rapidement la demeure, riche d’un enseignement auquel elle veut réfléchir.
  
À la description des lieux Bernard déclare que c’est bien-là une maison de frimeurs… qu’ils vont vers les enmerdes, évidemment une baraque de cet âge-là, etc.
   Qu’importe son opinion, elle sait que l’après-midi a été déterminant. Avant de rejoindre son lit auprès de Bernard, elle récupère discrètement les pilules prescrites par son docteur si compréhensif.
   On dirait des pastilles de chlore, pense-t-elle dans un sourire avant de les jeter, une à une, dans la cuvette des wc dont l’eau prend instantanément la couleur turquoise des mers du sud.

© Franck Chauvereau

Ici c’est comme ça!

   images.jpg Pourquoi nous continuons à agir comme nous le faisons quand il existe des alternatives ?

 Un groupe de scientifiques enferma cinq singes dans une cage et au milieu de celle-ci, un escabeau avec des bananes. À chaque fois qu’un des singes tentait de grimper à l’escabeau, une douche glacée aspergeait automatiquement les autres. Au bout d’un certain temps, lorsqu’un des singes faisait mine de vouloir grimper sur l’escabeau, les autres le frappaient (par crainte de prendre une douche glacée). Bien entendu, au bout de quelque temps, aucun des singes ne se risqua plus à grimper sur l’escabeau malgré la tentation. Les chercheurs décidèrent alors de remplacer un des singes. La première chose que fit le nouveau fut de vouloir monter sur l’escabeau. Aussitôt, les autres se mirent en devoir de le frapper. Quelques raclées plus tard, le nouveau membre de la communauté avait appris à ne plus grimper sur l’escabeau, sans même connaître la raison de cette interdiction. Un deuxième singe fut remplacé et subit le même sort que le premier. Celui-ci, d’ailleurs, se joignait aux autres pour le battre dès qu’il tentait de grimper sur l’escabeau. Un troisième singe fut échangé et le processus se répéta. Le groupe de cinq singes restant à la fin de l’expérience, bien que n’ayant jamais reçu de douche froide, continua à frapper tout nouvel arrivant qui tentait de monter sur l’escabeau.
  S’il était possible de parler avec ces singes et de leur demander pourquoi ils frappent ceux qui tentent de monter sur l’escabeau, je parie que leur réponse serait la suivante : “Je ne sais pas, mais ici c’est comme ça.” 
    
 Et chez vous, c’est comment ?
    

« coupable » de ne pas vivre pleinement

 ou la « Culpabilité existentielle » :

   On peut distinguer 3 types de culpabilités :

- Culpabilité réelle reliée à une infraction, un délit, un crime.
- Culpabilité névrotique qui émane de transgressions fantasmées ou mineures suscitant des réactions disproportionnées.
- Culpabilité existentielle due à la transgression envers sa propre destinée. 

    L’idée selon laquelle chaque être humain dispose d’un potentiel à réaliser dans sa vie est très ancienne (Aristote, déjà, y faisait référence). Pour de nombreuses religions ce serait une sorte de péché que de ne pas faire de sa vie ce que nous savons pouvoir en faire.    
    Aujourd’hui, dans la psychologie moderne, on parle « d’actualisation de soi », « réalisation de soi », « développement personnel », « croissance », « autonomie », etc.
   Le postulat commun est que le sujet qui ne vit pas pleinement éprouve un sentiment profond et puissant qu’on peut qualifier de « culpabilité existentielle », souvent à l’origine d’un sentiment d’autodépréciation et de mépris de soi qui perdure tout au long de la vie.  
   Mais comment découvrir son potentiel ? 
   C’est une question fondamentale, souvent posée en thérapie – directement ou indirectement – lorsque le sujet exprime un malaise global, indéfini, un sentiment d’être « à côté » de son existence, de ne pas y trouver de sens. Pourtant, au cœur de notre être, nous avons une connaissance de nous-mêmes qu’il suffit d’interroger.

   Culpabilité et responsabilité sont liées et indissociables. La  reconnaissance de sa responsabilité propre face à sa vie est ce qui  permet d’atteindre son autonomie et son plein potentiel (ce qui est la finalité de tout travail thérapeutique). Tant que le patient attribue la cause de ses problèmes à toute origine extérieure, comme la fatalité, la malchance, un mauvais karma, une punition divine etc, on peut considérer que le sujet est toujours devant la porte du thérapeute à attendre qu’on vienne l’ouvrir ! Se considérer responsable de ses choix de vie, libère du sentiment de se sentir coupable de ne pas être capable d’assumer la liberté de ses choix. 
  Coupable est un mot qui résonne très fort dans nos esprits, il est pourtant important de considérer le sentiment de culpabilité ( et d’en oublier la consonance péjorative) comme un guide qui constitue une force positive et constructive, à condition de le regarder en face.

  « Le Procès »de Franz Kafka, offre un formidable exemple de refus de responsabilité de ses choix de vie et des conséquences d’un tel refus.

   Le personnage principal – Joseph K… – n’éprouve aucune culpabilité à être à côté de son existence. Le tribunal devant lequel il comparaît est en fait un tribunal interne, instauré à l’intérieur de lui, et sa culpabilité est de vivre une vie non vécue, d’attendre la permission d’un autre, de ne pas s’emparer de sa vie mais aussi de ne pas accepter sa culpabilité, de ne pas s’en servir comme guide intérieur. Y figure une parabole :
Un homme s’adresse à une sentinelle postée devant la porte de la Loi; l’homme demande la permission d’entrer, la sentinelle lui répond que ce n’est pas possible pour le moment. L’homme tente de regarder à l’intérieur mais la sentinelle le met en garde :   
   
« Si tu en as envie essaie donc d’entrer malgré ma défense. Mais dis-toi bien que je suis puissant et que je ne suis que la dernière des sentinelles. Tu trouveras à l’entrée de chaque salle des sentinelles de plus en plus puissantes; dès la troisième, même moi, je ne peux plus supporter leur vue.»
  
L’homme décide d’attendre cette autorisation. Des jours, des semaines, des années passent. Sa vie entière, l’homme attend devant la porte. Il vieillit. Sur le point de mourir il pose une dernière question à la sentinelle, une question qu’il ne lui a encore jamais posée :
   
« Si tout le monde cherche à connaître la Loi, comment se fait-il que depuis si longtemps personne, autre que moi, ne t’a demandé d’entrer ?
- Personne autre que toi n’avait le droit d’entrer ici, car cette entrée n’était faite que pour toi. Maintenant, je pars, et je ferme.»
  
L’homme avait le choix. La sentinelle l’avertit seulement qu’il y aura des conséquences (lesquelles ? Il ne cherche pas à le savoir.). Des sentinelles puissantes cela ne signifie pas qu’elles sont infranchissables. Il aurait suffi d’une reconnaissance inconditionnelle de sa liberté de choix, donc de sa responsabilité pour que les portes s’ouvrent. Comment ne pas se sentir coupable d’un point de vue existentiel ?! 
  
Le travail thérapeutique doit permettre d’identifier cette culpabilité existentielle (et la distinguer des autres), car c’est un symptôme à travailler et à éradiquer. Elle est un signal venant de l’intérieur qui, s’il est entendu, peut servir de guide à l’accomplissement personnel, à la véritable vocation de l’être humain : être soi.

 À Lire :   »Thérapie existentielle » – Irvin Yalom -

Le deuil, tous les deuils…

    Pour Elisabeth Kübler-Ross (1926 / 2004) il y a 5 étapes au deuil (sans être des jalons définissant une chronologie linéaire du  deuil)
             Le déni / La colère / Le marchandage magique / La dépression /  L’acceptation.
  Toute perte –  banale ou dramatique -  implique un cheminement personnel afin de dépasser les sentiments douloureux qu’elle implique et de pouvoir tourner la page, sereinement.
Une perte « ordinaire » :
Souvenez-vous de la dernière fois lorsque vous avez perdu votre trousseau de clés ! Je suis certain qu’après le refus de la réalité  : « je n’ai pas pu les perdre, c’est pas possible ! », ont succédé des tentatives de négociation avec le hasard, les Saints du calendrier, les : « J’arrète de chercher et je finirai par les retrouver » et autres petits arrangements avec des forces obscures. Oui, un petit trousseau peut générer de grandes culpabilités, il suffit de penser aux conséquences pour la famille si on ne peut plus ouvrir la porte de l’appartement ! Ou la portière de la voiture au moment de conduire les enfants à l’école ! De grandes colères aussi, et de la tristesse pour peu qu’au bout de ces clés il y ait eu une peluche ou autre bibelot chargé de souvenirs… 
Finalement, c’est lorsque nous aurons accepté totalement la situation qu’on se décidera à faire venir un serrurier. L’amen, ou, l’ainsi soit-il final nous permettra d’avancer mais il nous faudra peut-être encore un peu de temps afin d’être définitivement libéré, qui de la colère, qui de la culpabilité, qui de la tristesse…

http://ekr.france.free.fr
 
(association kübler-Ross)

Et vous, où en êtes-vous de vos deuils ?

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histoire de deuil…         L’album de photos 

   À force de remettre à plus tard, toujours plus tard, l’organisation de ses photos dans un album, Martine les a accumulées, au fil du temps, dans une boîte qui les contient toutes et qui déborde. Aujourd’hui est une belle journée ensoleillée, une journée idéale pour s’installer dans le jardin fleuri afin de prendre le temps de trier parmi les centaines de clichés ceux qui méritent de figurer dans l’album. C’est un exercice que Martine redoute un peu. Le retour en arrière sur son existence à travers les images des lieux et des visages qui ne sont plus, présente le risque de réveiller des chagrins qui sommeillent et Martine n’a pas une nature masochiste. Sur la grande table en bois au milieu du jardin elle a posé sa lourde boîte aux souvenirs et l’album toujours neuf qu’elle a acheté il y a quelques années. Dans leur emballage il y a les onglets auto-collants qui permettront aux photos choisies d’être fixées par leurs 4 angles sur une page.
   Martine a choisi l’ordre chronologique pour effectuer son tri. Comme elle s’y attendait de nombreuses photos ne méritent pas d’être mises en valeur: trop floues, trop sombres, mal cadrées, prises de trop loin ou de trop près, pas flatteuses… Certaines n’évoquent plus rien de précis. Des visages ou des lieux qu’elle ne reconnaît plus. L’entreprise s’annonce longue car certains choix ne sont pas faciles. Comment décider entre ce qui rejoindra la boîte qu’elle n’ouvrira peut-être plus jamais et ce qui sera magnifié par la mise en page de l’album ? Son humeur alterne tout au long de l’après-midi, entre amusement et attendrissement, nostalgie et peine. 

    La mère de Martine est morte l’année dernière. Peut-être que la disparition de celle qui la mise au monde n’est pas étrangère à sa décision de mettre de l’ordre dans ses souvenirs. Maintenant qu’elle est l’aïeule de sa famille il est temps peut-être de transmettre l’histoire familiale à ses petits enfants puis ses arrière-petits enfants, qui sait ?  De nombreuses images l’obligent à faire une pause dans sa sélection tant les souvenirs affluent. Martine se lève alors, fait quelques pas parmi les arbres, se désaltère d’un verre d’eau dans la cuisine puis revient à sa table, sous le soleil. C’est une sorte de voyage dans le temps qu’il serait plus agréable de faire en compagnie des membres de sa tribut, pense-t-elle, mais plus question de s’interrompre, il sera temps d’organiser une journée-album-de-famille dans quelques semaines. 

    De sa mère elle ne possède qu’une seule photo récente qui date de quelques mois avant sa disparition. Les autres ont au moins 10 ans d’ancienneté. Il faut dire qu’elle fuyait tout appareil photo. Martine tient particulièrement à un portrait qu’elle trouve magnifique. Elle avait réussi à surprendre sa mère assise au soleil sur la plage, l’été dernier, et l’expression de son visage quand elle s’était tournée vers sa fille et l’appareil la résumait tout entière; souriante, lumineuse et paisible. 
   C’est à peine si Martine se souvient avoir pleuré sur la disparition de sa mère adorée. L’annonce de sa mort brutale résonne encore à ses oreilles et sa stupeur semble restée suspendue au-dessus de sa tête depuis ce jour. Le temps a couru très vite après les funérailles, curieusement, elle ne se souvient pas avoir fait quelque chose d’intéressant, avoir eu un projet depuis cette période… Les jours se sont enchaînés, emplis par les gestes du quotidien, pas davantage.
   En fin d’après-midi Martine a réalisé une grande partie du travail et la voici avec le portrait de sa mère posé sur la pile des dernières photos à sélectionner.
Le vent s’est levé. Martine s’éloigne vers le salon afin d’y chercher un châle pour se protéger de la fraîcheur soudaine. À son retour la photo n’est plus à sa place. Elle remue minutieusement tout ce qui se trouve devant elle, avec une inquiétude grandissante car plus le temps passe plus il est évident que la photo a disparu. Martine se lève, commence à explorer autour de sa chaise, autour de la table. En vain. Elle refait le chemin qui l’a conduite jusqu’au salon au cas ou elle aurait emporté la photo avec elle, sans le vouloir, sans s’en apercevoir. Rien. À l’inquiétude se mêle la peur de l’irrationnel. Elle alterne entre le doute et la certitude d’avoir eu en main ce clicher. De retour au jardin, dans la 
confusion de ses sentiments, elle essaie de raisonner encore. Malgré le vent, aucune des photos posées sur la table ne bouge suffisamment pour s’envoler, alors pourquoi cette disparition ? Et pourquoi cette photo-ci plutôt qu’une autre ? C’est comme si sa mère disparaissait une seconde fois. Une colère grandit en elle, contre son incapacité à retrouver une simple photo qui ne peut pas avoir disparu sans explication. Sa colère grandit contre la fatalité, ou la vie, ou la malchance qui lui fait perdre ce à quoi elle tenait le plus. C’est plus fort qu’elle, sa rage doit s’exprimer. Alors elle se saisit de sa chaise en fer forgé puis de toutes ses forces la projette en l’air. Martine s’effondre en larmes, au milieu du jardin. C’est un mauvais coup du sort, pense-t-elle. Cette disparition doit avoir un sens, mais lequel ? Quel mauvais esprit  joue avec sa peine en ce moment ? Et pourquoi ? Que doit-elle faire pour que cette photo reprenne sa place parmi les autres ? Que va-telle pouvoir dire à sa sœur et à son frère qui, comme elle, ont une tendresse infinie pour la dernière image de leur mère ? Une ultime fois elle arpente son carré de verdure, s’approche de la haie afin de jeter un regard sur le terrain voisin. Un tracteur est passé récemment et a tracé de profonds sillons de terre humide.  » Si le vent a poussé la photo jusqu’ici, jusqu’à cette boue, je n’ai aucune chance de la retrouver, pense-t-elle. Tant pis. Si cela doit être ainsi, qu’il en soit ainsi. «  

    La nuit qui suit la voit agitée. Elle refait mentalement chacun de ses gestes. Ses rêves sont chargés de chagrin et de douleur. Au matin, Martine fait un dernier tour de jardin, fouille une fois encore dans la boite, puis dans l’album. L’évidence est criante, la photo est à jamais perdue. Peu importe comment et pourquoi, ni même où elle se trouve en ce moment. L’image de ce visage souriant est à jamais inscrit dans sa mémoire et dans son cœur avec une précision photographique. Est-ce que cela n’a pas autant de valeur, sinon plus, que ce carré de carton imprimé ? A la place restée vide de l’album elle choisit d’y placer la dernière photo de Damien, son petit-fils de 3 ans qui semble lui sourire.  Après tout ce n’était qu’une photo, qu’un instant arrêté de la vie alors que dans sa mémoire il y a tant de souvenirs animés qu’il lui est possible de convoquer quand bon lui semble.
   La journée est ensoleillée et les prévisions pour la fin de semaine sont optimistes : soleil et chaleur. Quelle belle occasion pour réunir toute la famille afin d’organiser les prochaines vacances.
   En refermant l’album des phrases s’imposent à son esprit :
La vie appartient aux vivants, la vie est une permanente imparmanence, la vie est mouvement…

© franck chauvereau

le conte et ses vertus thérapeutiques

  bbdormant.jpg BBdormant ≠ BBrelax !! beberelax.jpg

    Le conte s’adresse avant tout à l’inconscient, celui de l’enfant ou de l’adulte, et l’inconscient n’a pas d’âge. Très souvent, il est un récit fondateur qui, à la manière des mythes et des légendes, nous transmet un savoir à travers le temps et l’espace. L’objectif des contes serait, de ce point de vue, une réponse aux énigmes que les personnes se posent. En thérapie, le conte peut représenter un allié, un passeur d’une parole sage afin de comprendre le monde et y trouver sa place. 

    Depuis les temps les plus reculés de l’histoire, l’humanité a utilisé les métaphores – metaphora signifiant transport en grec ancien – pour véhiculer des idées et des changements. La métaphore est un processus subtil qui se présente sous la forme d’un déguisement. C’est un aspect du langage symbolique utilisé dans différents domaines, notamment dans les allégories littéraires, les contes de fée et l’ancien testament.     

  Entre veille et sommeil, l’hémisphère droit du cerveau est particulièrement sollicité. Le langage de l’hémisphère droit est celui de l’émotion, de la poésie, du rêve, des images, il fonctionne sur la métaphore, les jeux de mots, les symboles. Il est donc particulièrement réceptif aux contes. En état de relaxation (≠ du sommeil !), les défenses du sujet sont diminuées, les limitations habituelles de sa pensée sont provisoirement suspendues.    

   Le patient et le thérapeute se rencontrent dans une zone d’ouverture. Le conte franchit donc en douceur la barrière du surmoi avec ses peurs et ses limitations et s’adresse au moi, en secret, pour l’inspirer, le nourrir et le pacifier.    

  La position est passive en apparence, mais elle ne manque pas d’attrait psychothérapeutique. Écouter un conte dans un état de profonde détente, c’est introduire une rupture qui arrête l’écoulement du temps et qui vient contourner des vécus douloureux, difficiles à exprimer.     

  

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quand les mots/maux doivent sortir, rien ne doit les arrêter !

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respect, liberté… Quand chacun a sa propre définition !

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l’inconscient n’est pas un réservoir d’impulsions, de pensées et de désirs que la culture rend inacceptables mais le lieu des potentialités à connaître et à expérimenter que l’individu ne « peut pas » ou ne « veut pas » actualiser.

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